jeudi 21 février 2008

Ils


Je souris. Assis. Je suis assis. Juste à temps. Par la fenêtre je regarde le quai partir. Vide. Ah non ! je vois un cheminot qui agite une sorte de bâton en sifflant. Je suis assis, seul sur cette banquette en bois. On est trois, quatre tout au plus dans cette voiture du milieu du train. Je souris. J’ai réussi à leur échapper. Ça grince de partout à chaque intersection de rails. Ça bouge aussi. Je suis secoué dans tous les sens, peu m’importe, je leur ai échappé. Je souris. Une poule, j’entends une poule. Je me retourne. Trois bancs derrière moi un paysan tient sur ses genoux une caisse ajourée. Je vois des plumes blanches. Il doit rentrer du marché sans avoir vendu grand-chose. Son visage sec est triste. Je souris, je leur ai échappé. Juste à temps. La poule glousse. Je souris. Ils ne m’ont pas pris. Le paysan porte la main à son front, le frotte. Des souvenirs à chasser. Une conscience à éveiller. Des pensées à animer. Un village à quitter. Je souris. J’ai réussi. Pas possible qu’ils me retrouvent. La voiture tangue. La poule caquette, le vieux renifle, s’essuie avec la manche de son bleu. Je me lève, je me déplace au fond vers la porte vitrée arrière. Ils ne sont pas dans la voiture de première classe, celle-là est vide. J’en suis débarrassé. Je repars dans l’autre sens, je veux vérifier dans la voiture de devant, je veux être certain. Je passe vers un homme qui porte un chapeau. Il lève la tête à mon passage. Je souris. Ils ne sont pas là, c’est sûr. Je ne peux même pas voir l’autre voiture, la fenêtre est cassée, une planche la remplace. Mais ils ne peuvent pas être là. J’ai couru, j’ai sauté dans le train sans les apercevoir. Ils ne sont pas là. Tu m’entends. Réponds. Je retourne vers ma place. L’homme au chapeau se lève. Il soulève son chapeau et me le présente. C’est ma femme, me dit-il, elle s’appelle Denise. Je souris. Elle est jolie Denise. Mais pourquoi il porte sa femme sur sa tête ? Je leur ai échappé pourtant. Le paysan, il va m’aider, lui il pourra. J’arrive à lui. La poule. Elle est bleue. Pourquoi elle renifle comme ça ? Dans la cage, le paysan picore un verre que lui tend Denise. L’homme au chapeau s’esclaffe et veut m’entraîner dans une valse endiablée. Je me bouche les oreilles et je hurle. Le train stoppe dans un couinement de freins. Je me penche à la fenêtre. Ils sont tous là, ils sont revenus. Je souris.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Etrange histoire, mais joliment raconter... j'aime beaucoup :)